Histoire, européocentrisme...
Les polémiques liées à la mémoire sont, en ce moment, légion en France. Le fameux article sur le soi-disant rôle positif de la colonisation a été le déclencheur d'une avalanche de réactions diverses, plus ou moins bien inspirées. Il a également été l'occasion d'un débat plus large sur les rapports, dans une démocratie, entre Histoire et Pouvoir politique. Les historiens, tout naturellement, se sont emparés de la question. A coups de pétitions pour l'essentiel discutables - mais ça n'est pas mon propos -, ils ont démandé l'abrogation des lois dites "mémorielles" - Taubira, Gayssot, loi sur le génocide arménien, et bien sûr la loi sur le "rôle positif" de la colonisation" -, au motif qu'elles portaient atteinte à leur liberté. Quelques très rares historiens exprimèrent des positions plus nuancées. Celles-ci me semblèrent plus pertinentes.
Au total, ces débats m'inspirèrent quelques réflexions:
La culture française est rongée par un véritable cancer: l'européocentrisme. Disons pour être plus précis le francocentrisme. L'Histoire - française - n'est pas exempte de cette déplorable disposition d'esprit, bien au contraire. Le plus inquiètant est que la plupart des historiens sont frappés de cette cécité mais ne s'en rendent pas compte. Pourtant, ils devraient être à la pointe du combat contre cette funeste gangrène. Dans le fond, la colonisation, l'occultation ou l'insuffisance de traitement de celle-ci dans les manuels scolaires, ainsi que la proposition de loi faisant référence au rôle positif de la colonisation en sont l'expression crue. Cette loi n'est que le symptôme d'un état d'esprit français. Celui-ci est également attesté dans le sondage qui montre qu'une majorité de français est en phase avec cette proposition de loi. L'idée que la culture occidentale est par essence supérieure aux autres, qu'elle est la seule digne d'intérêt, que le modèle occidental - c'est-à-dire la façon de voir le monde - est le seul réellement pertinent est profondément incrusté dans l'inconscient collectif des français. Les élites sont les premières concernées car l'école est la principale responsable de ce bourrage de crâne. Cette réalité, à mon sens, est à la base des problèmes sociétaux que traverse la France. Ce diagnostic est rarement fait précisément parce que, comme je l'évoquais plus haut, les malades ignorent leur maladie. Les français seraient bien inspirés de relire Sartre, qui recommandait de "penser contre soi-même".
J'aimerais dire un mot sur l'Histoire et les historiens. Je récuse l'idée trop commune chez les historiens que l'Histoire est leur affaire. Elle est trop sérieuse pour être leur chasse gardée. Je prétends être aussi voire davantage compétent sur l'histoire coloniale que beaucoup d'historiens dits "illustres". Ceux-ci - les historiens - veulent nous faire croire que l'histoire est une discipline scientifique, ce qui est une ineptie. La réalité est qu'elle est éminemment subjective, sujette à toutes sortes d'interprétations et donc de manipulations. Les historiens nous rappellent volontiers qu'ils quêtent la "vérité historique". Je leur sais gré de ne pas la confondre avec la Vérité. Mais quand je lis ceci: " L'histoire n'est pas la mémoire. L'historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L'histoire tient compte de la mémoire, elle ne s'y réduit pas" extrait de la pétition "Liberté pour l'histoire" signée par un "collectif d'historiens parmi les plus réputés". , j'en arrive à remettre en cause la prétendue "vérité historique". Car sur quelles bases est effectué le recueillement des souvenirs? Selon quels critères, quelle méthode? On s'appuie sur les "souvenirs" des hommes; quand bien même ceux-ci seraient soumis à comparaison, comment distinguer l'exact de l'inexact, à quels témoignages donner crédit, pour quelle raison absolument incontestable. En outre qui dit "souvenir" dit oubli, voire manipulation - pourquoi pas - du témoin...Ensuite quels sont les critères de comparaison? Quelle est la méthode de "confrontation"... Ceci pour dire que l'Histoire est loin d'être une Science. Ses conditions d'élaboration n'ont pas la précision de celle-ci. Elle est trop tributaire de l'appréciation de ceux qui sont censés la produire. Les historiens gagneraient à être plus modeste, et à se souvenir que la "vérité historique" n'est plus ni moins que celle des vainqueurs.