Chômeuse
Voilà, c'est fait. J'ai terminé. Ich bin fertig, comme on dit par ici.
Me voici techniquement chômeuse. J'ai regardé la définition de ce mot dans le dictionnaire. Celui-ci énonçait: "Chômeur, euse: Personne au chômage. Demandeur d'emploi". Mais encore? "Chômage: Cessation contrainte de l'activité professionnelle d'une personne, d'une entreprise; période, situation résultant de cet arrêt." Cette fois, c'est sûr, cela correspond tout à fait à ma situation.
Je dois avouer que je me sens ... "contrastée". Dois-je exulter, rire, me plaindre, pleurer? Je ne sais pas. Ma vie d'étudiante est terminée, un tournant majeur pointe et je ne sais qu'en penser. D'aucuns me répondraient: "Dans ce cas, n'y pense pas, et vis ta vie".
Hmm, n'y pense pas et vis ta vie. Pas si simple ma foi. S'annonce une période pour le moins caractérisée de questionnements de toutes sortes, de doutes sur le monde, d'interrogations sur soi-même, et je ne parviens pas -malheureusement ou heureusement- à y échapper.
Je lisais hier le dossier "Génération Low Cost" paru dans le Courrier International de la semaine dernière, qui fait état de la situation des jeunes diplômés européens dans le monde du travail. Le tableau est bien gris. Bardée de tous les diplômes que les recruteurs exigent de futurs cadres d'entreprise, une part non négligeable des jeunes européens de moins de 30 ans reste abonnée aux mille euros le mois. Ont-ils été bernés? Difficile à dire. Entre un retrait encore fantôme du marché du travail des générations du baby boom et un principe "biaisé" selon lequel on accède aux meilleurs postes quand on a les meilleurs diplômes, parvenir à distinguer la vérité du mensonge relève d'une entreprise fort ardue.
Je suis fière et à la fois nostalgique avant l'heure. Fière de me constater diplômée, et nostalgique de cette nonchalante vie d'étudiante dont je ne pourrai plus jouir très bientôt. Je me remémore cette année de stages en entreprise que j'ai eu la chance d'effectuer il n'y a pas longtemps, avec son lot d'urgences, de pression, de recherche quotidienne -horaire même- de la perfection et de la reconnaissance auprès des tiers. Comparée à une vie d'étudiante où tu ne rends de comptes qu'à toi-même et personne d'autres, la vie en entreprise c'est tout simplement Big Brother. D'une vie où c'était la fête tous les soirs sauf deux semaines avant les partiels, tu te retrouves engouffrée dans un monde où tu es scrutée, surveillée, minutée, observée, critiquée, jugée, malmenée, et ce ouvertement ou pas.
Es-tu préparée à vivre 40 longues années de ta vie dans un tel labyrinthe du vice? Tu essaies de te convaincre que tu es une grande fille, que tu peux dès à présent assumer les choses que les adultes assument. Les autres y parviennent, alors pourquoi pas toi? Pourtant tu en es incapable. C'est simple, tout ça n'est pas toi. En tout cas, pas pour l'instant. Non non, toi tu rêves encore d'une vie de cadre propre, rangée, sans rien qui déborde. Tu t'imagines l'indépendance, l'épanouissement, enfin bref, le truc normal quoi, pas plus que ce qu'on te miroite depuis des années finalement.
Il va pourtant falloir que je me tue. J'entends par là que je dise adieu une fois pour toute à cette nonchalance naïve et bien aimée, à cette galère d'étudiante dans laquelle je rampais allègrement et que pourtant j'aimais. Il va falloir que je dise adieu à cette étudiante candide, droite, et que je redonne naissance à une adulte et une femme active ferme, sachant esquiver les coups bas et manier l'hypocrisie comme seuls ceux qui réussissent savent le faire. Dur dur...
Apparemment, ces 24 ans auraient servi à ça, construire une adulte et si possible une femme active. Le gong a sonné. A moi donc de jouer.