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21 mai 2007

Un oeil ouvert sur...

Une phrase m'a interpellée dans le discours prononcé par Nicolas Sarkozy en reconnaissance de son élection au statut de président de la République Française le 6 mai dernier: "Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres." Une bien jolie phrase avec laquelle je suis assez en accord. J'espère seulement qu'elle ne servait pas à balayer le devoir de mémoire nécessaire afin de ne pas renouveler les erreurs passées. Car dans ce cas, je conseillerais à notre nouveau président de lire ou relire ces quelques extraits :

*Discours sur le colonialisme par Aimé CésaireDiscours_sur_le_colonialisme

"Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, l'impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.
Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l'homme indigène en instrument de production.
A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.
J'entends la tempête. On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes.
Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.
Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris sont entrain de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqués savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme.
On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés.
Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.
On se targue d'abus supprimés.
Moi aussi, je parle d'abus, mais pour dire qu'aux anciens - très réels - on en a superposés d'autres - très détestables. On me parle de tyrans locaux mis à la raison; mais je constate qu'en général il font très bon ménage avec les nouveaux et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s'est établi, au détriment des peuples, un circuit de bons services et de complicité.
On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification."

"L'entreprise coloniale est, au monde moderne, ce que l'impérialisme romain fut au monde antique: préparateur du Désastre et fourrier de la Catastrophe."

Une citation de Descartes reprise par Césaire dans son discours, et qui vaut la peine d'être méditée : "La raison... est tout entière en chacun [...] il n'y a du plus ou du moins qu'entre les accidents et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce."

* Discours sur la Négritude par Aimé Césaire

"La Négritude, à mes yeux, n'est pas une philosophie.
La Négritude n'est pas une prétentieuse conception de l'univers.
C'est une manière de vivre l'histoire dans l'histoire: l'histoire d'une communauté dont l'expérience apparaît, à vrai dire singulière avec ses déportations de populations, ses transferts d'hommes d'un continent à l'autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris de cultures assassinées.
Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohérence constitue un patrimoine?
En faut-il davantage pour fonder une identité?

[...]

C'est dire que la Négritude au premier degré peut se définir d'abord comme une prise de conscience de la différence, comme mémoire, comme fidélité et comme solidarité.
Mais la Négritude n'est pas seulement passive. Elle n'est pas de l'ordre du pâtir et du subir.
Ce n'est ni un pathétisme ni un dolorisme.
La Négritude résulte d'une attitude active et offensive de l'esprit.
Elle est sursaut et sursaut de dignité.
Elle est refus, je veux dire refus de l'oppression.
Elle est combat, c'est à dire combat contre l'inégalité.
[...]
Autrement dit, la Négritude a été une révolte contre ce que j'appellerai le réductionisme européen.
Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l'instinctive tendance d'une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même pour faire le vide autour d'elle en ramenant abusivement la notion d'universel, chère à Léopold Sédar Senghor, à ses propres dimensions, autrement dit, à penser l'universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres. On voit et on n'a que trop vu les conséquences que cela entraîne: couper l'homme de lui-même, couper l'homme de ses racines, couper l'homme de l'univers, couper l'homme de l'humain, et l'isoler, en définitive, dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie.

[...]

Mais, me dira-t-on, que devient dans tout cela la fameuse notion d'ethnicity que vous avez mise en bonne place dans l'exposé des motifs de ce congrès et sur laquelle vous nous appeler à méditer ?
Je dirais, pour ma part, que je la remplacerais volontiers par un autre mot qui lui est à peu près synonyme, mais dépouillé des connotations forcément désagréables parce qu'équivoques que le mot ethnicity entretient.
Je dirais donc non pas d'ethnicity, mais identity (identité), et qui désigne bien ce qu'il désigne: ce qui est fondamental, ce sur quoi tout le reste s'édifie et peut s'édifier : le noyau dur et irréductible; ce qui donne à un homme, à une culture, à une civilisation, sa tournure propre, son style et son irréductibe singularité.
[...]
Nous avons bataillé durement, Senghor et moi, contre la déculturation et l'acculturation. Eh bien, je dis que tourner le dos à l'identité, c'est nous y ramener et c'est se livrer sans défense à un mot qui a encore sa valeur; c'est se livrer à l'aliénation.
[...]
En fait, le moment actuel est pour nous fort sévère car, à chacun d'entre nous, une question est posée personnellement: ou bien se débarrasser du passé comme d'un fardeau encombrant et déplaisant qui ne fait qu'entraver notre évolution, ou bien l'assumer virilement, en faire un point d'appui pour continuer notre marche en avant.
Il faut opter.
Il faut choisir.
[...]
Pour nous, le choix est fait.
Nous sommes de ceux qui refusent d'oublier.
Nous sommes de ceux qui refusent l'amnésie même comme méthode.
Il ne s'agit ni d'intégrisme, ni de fondamentalisme, encore moins de puéril nombrilisme. Nous sommes tout simplement du parti de la dignité et du parti de la fidélité. Je dirais donc : provignement, oui ; dessouchement, non."

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Commentaires
B
Ca me conforte encore un peu plus dans l'idée que je suis impardonnable de n'avoir encore jamais intégré Aimé Césaire à mes lectures... Ce sera chose faite dans les prochains jours/semaines ! Merci Tchim !
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